LE TRAVAIL EN PANNE DE SENS

La perte de sens au travail ne produit pas seulement fatigue et désengagement chez les individus, elle fragilise la vie démocratique et compromet la possibilité de faire encore société

LE TRAVAIL EN PANNE DE SENS
Photo by Rezli / Unsplash
« Qui étaient ces 100 ouvriers sur 963 qui n’abandonnèrent pas la chaine de montage ? Peut-être étaient-ils ceux qui éprouvaient le moins de répugnance envers ce nouveau mode de travail parce qu’ils tiraient moins de fierté de leurs facultés créatives et étaient donc plus dociles. Et plus dénués d’esprit républicain en quelque sorte. » - Matthew B. Crawford, Éloge du carburateur, 2009
« Il ne s’agit pas de nier la contradiction entre l’expérience souvent douloureuse du travail tel qu’il est et les aspirations à la liberté. Mais plutôt qu’un “refus du travail”, nous montrerons qu’on observe le refus d’un travail insensé, un travail mutilé de son potentiel d’émancipation par le management financiarisé. » - Thomas Coutrot & Coralie Perez, Redonner du sens au travail. Une aspiration révolutionnaire, 2022

 « I would prefer not to » (je préférerais ne pas [le faire]) : par cette réplique devenue proverbiale, Bartleby, le scribe imaginé par Melville en 1853, incarnait déjà l’absurdité d’un travail vidé de sa finalité, réduit à une tâche stérile : la reproduction mécanique d’actes notariés.

La critique a vu dans le refus obstiné de Bartleby davantage que la marque d’une lassitude :  une forme de résistance. Gilles Deleuze observait que ce refus minimal, loin d’être une simple inertie, constituait toutefois une formule singulière : non pas une opposition frontale, mais une désactivation, une « suspension » de la logique du pouvoir, rendue inopérante. Cependant, soulignait Christopher Lasch, ce repli individuel, faute d’un cadre collectif et politique, ne renverse rien : il nourrit seulement le désespoir, l’isolement et parfois l’autodestruction.

Voilà sans doute la leçon que nous laisse Melville : dire « je préférerais ne pas » ne suffit pas.

L’autre crise de régime
Les révolutions industrielles ont marqué une rupture dans le rapport au travail.
Là où le paysan voyait dans la terre cultivée l’empreinte de son effort et la transmission d’un savoir ancestral, là où l’artisan pouvait dire « ceci est mon œuvre », là où le compagnon pouvait inscrire son savoir-faire dans un édifice qui lui survivrait, l’ouvrier spécialisé, produit du taylorisme, s’est petit à petit trouvé réduit à n’exécuter qu’un fragment de tâches. Ce morcellement a progressivement dépossédé les travailleurs de leur savoir-faire, les privant de la maîtrise de leur métier et sapant ce que le travail portait de fierté, de dignité et d’épanouissement. Et le compromis fordiste, en échangeant une discipline stricte dans un système productif « rationalisé » contre un salaire ouvrant l’accès à la consommation de masse, a parachevé ce processus : il a troqué l’autonomie et la maîtrise de l’œuvre contre le pouvoir d’achat, installant durablement l’idée que le travail valait moins par ce qu’il permettait de créer que par ce qu’il permettait d’acheter.

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