« C’est une entreprise audacieuse que de s'attaquer à un problème aussi vaste et complexe que celui des origines de la Guerre. Avant même de s'engager dans l'effrayant labyrinthe documentaire, l'historien se heurte à une question préalable : sphinx à l'entrée du labyrinthe. Il est évident qu'un tel cataclysme ne peut s'expliquer uniquement par des gestes individuels. Les faits diplomatiques ne sont le plus souvent que l'expression superficielle de forces opposées dont le choc est la cause profonde de l'explosion. Il faut donc déterminer d'abord quelles sont ces causes profondes, ces forces sous-jacentes, avant d'en venir aux jeux de surface que représente l'histoire diplomatique. » - Jules Isaac, Un débat historique. Les origines de la guerre (1933)
« L’Occident, en 1914, autant qu’au bord de la guerre, se trouve au bord du socialisme. Celui-ci est sur le point de se saisir du pouvoir, de fabriquer une Europe aussi moderne, et plus peut-être qu’elle ne l’est actuellement. En quelques jours, en quelques heures, la guerre aura ruiné ses espoirs » - Fernand Braudel, Grammaire des civilisations (1987)
Pendant des décennies, l’Europe a préféré voir dans la Grande Guerre un accident tragique plutôt qu’une entreprise politique. Dans les manuels comme dans la mémoire publique, 1914 apparaissait comme le résultat d’un enchaînement malheureux de décisions et d’alliances, d’une mécanique diplomatique devenue folle. L’assassinat, le 28 juin 1914, de l’archiduc François-Ferdinand, héritier du trône d’Autriche-Hongrie, par le nationaliste serbe Gavrilo Princip aurait mis le feu à une poudrière, et les États, pris dans leurs plans de mobilisation et leurs promesses d’alliance, auraient glissé vers la catastrophe sans vraiment la vouloir.
Cette vision s’est imposée dans l’entre-deux-guerres, notamment sous la plume d’historiens comme Sidney Fay ou Harry Elmer Barnes, pour qui la guerre ne relevait d’aucune volonté concertée : chaque puissance avait sa part d’aveuglement, aucune n’avait planifié un tel désastre. L’Allemagne, accablée par la clause de culpabilité du traité de Versailles, trouva là un argument commode pour défendre l’idée d’une responsabilité partagée entre nations. L’historiographie de l’époque, nourrie de pacifisme et d’idéalisme, préféra donc parler d’un « engrenage », d’une Europe somnambule qui serait tombée dans la guerre comme on chute dans le sommeil.
« Le travail historique mené à l'américaine — outillage perfectionné, plan grandiose, construction rapide — a abouti en peu de temps, une dizaine d'années et même moins, à d'importantes synthèses qui méritent d'être connues et discutées en France. Dès 1926, M. Harry Elmer Barnes, professeur au Smith College de Northampton (Mass.) a publié The Genesis of the World War. L'année 1928 a vu paraître The Origins of the World War par Sidney Bradshaw Fay, aujourd'hui professeur à l'Université de Harvard ; l'année 1930, The Coming of the War 1914, par Bernadotte E. Schmitt, de l'Université de Chicago. Ces trois ouvrages correspondent aux trois tendances principales entre lesquelles se partage l'opinion américaine (informée) : responsabilité majeure des Empires centraux (Bernadotte Schmitt), responsabilités largement réparties entre toutes les puissances et sans que l'Allemagne en ait la plus grande part (Sidney Fay), responsabilité majeure, sinon exclusive, de la Russie et de la France (Harry Barnes) ». - Jules Isaac (1933)
Il fallut attendre les années 1960 pour que cette lecture consolatrice soit remise en cause.
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