« À travers lui, l’URSS a voulu montrer qu’elle pouvait dépasser l’Occident
sur son propre terrain : celui de la puissance industrielle. » - André Gide, Retour de l’U.R.S.S., 1936
« Ce que les patrons voulaient, c’était du travail, toujours plus de travail,
et ils se souciaient peu que les hommes meurent de fatigue. » - Upton Sinclair, La Jungle, 1906
Du fond de la mine
Au cœur du Donbass industriel, à minuit, le 30 août 1935, en plein second plan quinquennal, Alexeï Stakhanov, vingt-neuf ans, saisit son marteau-piqueur et s’enfonce dans les galeries saturées de poussière de Tsentralnaïa-Irmino. Sa lampe frontale vacille dans l’air étouffant. Deux hommes l’accompagnent : l’un pour évacuer les blocs arrachés à la roche, l’autre pour étayer les voûtes fragiles. La méthode est nouvelle : au lieu de se disperser entre plusieurs tâches, le mineur peut se concentrer sur l’abattage.
Le marteau gronde, les parois cèdent par pans entiers, les étincelles éclatent dans l’obscurité. Les wagonnets se succèdent à vive allure, tirés vers la surface. « C’était comme si la mine elle-même se mettait à cracher son charbon », écrira un chroniqueur. Les gestes se répètent, réguliers, réglés comme une mécanique. Chaque minute est comptée. Dans le vacarme métallique, la sueur se mêle à la poussière, l’air devient presque irrespirable.
Quand l’équipe remonte à l’aube, les chiffres tombent : 102 tonnes extraites en moins de six heures, quatorze fois la norme ! Dans la salle de repos, les camarades se pressent. Certains applaudissent, fiers qu’un des leurs ait réalisé ce que personne n’aurait cru possible. D’autres murmurent que « tout était préparé », que l’exploit n’était pas qu’une question de force ou d’adresse, mais d’organisation décidée d’en haut.
Dès le lendemain, la Pravda met en avant l’exploit : « le camarade Stakhanov a montré que sous le socialisme les forces créatrices de l’homme sont illimitées ». Le mineur devient un mythe. Appelé à Moscou, exhibé dans les usines, photographié en héros, il est présenté comme l’incarnation de l’« homme nouveau ». Des brigades stakhanovistes naissent dans tout le pays. On fait de ce geste l’étincelle d’un mouvement national, la preuve vivante que le socialisme peut surpasser l’Occident dans sa propre démesure.
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